Statut juridique du droit local :
Coup de
force du Conseil constitutionnel ?
Le Conseil
constitutionnel vient de rendre une décision dans l'affaire Somodia dans
le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
La question
se référait à un article du droit local (art. L.3134-11) concernant le
travail et l'ouverture des commerces (dans ce cas, de type supermarché) le
dimanche en Alsace-Moselle.
La question
était très complexe et il fallait se référer à d'autres éléments du droit
local et du droit général (ou droit commun) traitant du problème du
travail du dimanche que la référence au seul article L.3134-11 en cause
dans le litige.
Notre texte
est une tentative de démêler quelque peu les fils entrecroisés de ce
problème pour juger de la portée de la décision du Conseil
constitutionnel.
Pour plus
des précisions sur les articles du droit du travail concernés, on se
reportera à la revue du droit local n° 55 qui rassemble les travaux d'un
colloque organisé par l'Institut du droit local sur le problème du travail
du dimanche en Alsace-Moselle.
Par une
décision en date du 5 août 2011, le Conseil constitutionnel a élevé au
rang de "principe fondamental reconnu par les lois de la République" (PFRLR)
le principe de la prorogation législative, à titre provisoire, du
droit local d'Alsace-Moselle. Un PFRLR a valeur constitutionnelle.
La notion
de PFRLR est apparue en 1931 à l'occasion d'une loi de finance pour
caractériser la liberté d'enseignement.
Elle fut
reprise dans le préambule de la constitution de 1946 qui indique sans
autres précisions que cette constitution "réaffirme solennellement (…) les
principes fondamentaux reconnus par les lois de la République".
Le contenu
de cette notion fut élaboré progressivement par le Conseil d'Etat et
surtout par le Conseil constitutionnel fondé en 1971. Le premier PFRLR fut
élaboré par le Conseil d'Etat en juillet 1956 ; il concernait la liberté
d'association.
Après sa
fondation, le Conseil constitutionnel accorda une valeur constitutionnelle
au préambule de la constitution de 1946 (décision du 16/7/1971). Du même
coup, les PFRLR ont acquis une valeur constitutionnelle et s'inscrivent au
plus haut niveau des lois et règlements : le "bloc de constitutionnalité".
Quatre
conditions sont requises pour faire accéder un principe au rang de PFRLR :
-
Qu'il soit issu d'un texte législatif antérieur à la constitution
de 1946.
-
Qu'il soit issu d'un texte législatif républicain (1e, 2e
et 3e République). Sont exclus les textes du régime de Vichy.
-
Qu'il n'ait pas été démenti par une autre législation républicaine
et qu'il ait eu une application continue.
-
Qu'il soit de portée générale, non contingent et qu'il possède un
caractère fondamental.
Le Conseil
d'Etat a consacré 3 PFRLR : la liberté d'association, l'interdiction des
extraditions à des fins politiques, la laïcité (arrêt SNES du 6 avril
2001).
Le Conseil
constitutionnel en a consacré une dizaine dont : à nouveau la liberté
d'association, la liberté d'enseignement, la liberté de conscience, la
liberté individuelle etc…
De plus, le
Conseil constitutionnel a reconnu d'autres principes et objectifs à
"valeur constitutionnelle" comme : la continuité de l'Etat et du service
public, la protection de la dignité de la personne humaine, la liberté
individuelle, la liberté d'entreprendre, le respect de la vie privée, la
nécessité du maintien de l'ordre à concilier avec la liberté individuelle
et celle d'aller et venir etc…
Les
principes inclus dans la charte de l'environnement (2005) ont été
constitutionnalisés par l'introduction de cette charte dans le préambule
de la constitution de 1958.
Enfin, le
Conseil constitutionnel n'a pas établi de hiérarchie entre tous les
principes reconnus constitutionnels.
Ce droit,
donné à deux hautes assemblées judiciaires, de constitutionnaliser des
principes soulève le problème de possibles conflits entre le pouvoir
judiciaire et le pouvoir législatif.
La
promotion inattendue du principe de prorogation, à titre provisoire,
du droit local alsacien-mosellan au rang de PFRLR a été décidée à
l'occasion d'une QPC posée par la société Somodia. Cette société est une
SARL, gérante d'un supermarché de Fénétrange (Moselle), qui ouvrait le
dimanche en dépit d'une disposition locale interdisant cette ouverture.
Cette société avait été condamnée par le tribunal de police de Sarrebourg
et la Cour d'appel de Metz. Un recours déposé auprès de la Cour de
cassation avait aboutit à la QPC. D'autres procédures sont en cours.
Le droit
local alsacien-mosellan pose comme règle l'interdiction du travail le
dimanche. A l'origine cette disposition était destinée à favoriser
l'assistance aux cultes du dimanche matin.
Cette
disposition résulte d'une loi d'empire de 1900 pendant la période
d'annexion, elle fut traduite dans le code local des professions (art.
41,105 et 146) puis codifiée, au titre du droit local, dans les articles
L.3134-1 à L.3134-15 du code du travail. Articles applicables seulement en
Alsace-Moselle mais auxquels ont été adjoints quelques articles du droit
général. Cette adjonction est destinée à donner au droit local une
apparence de conformité avec les directives européennes. Elle n'est pas
sans poser quelques questions de droit.
En droit
local, l'interdiction du travail le dimanche est étendue aux jours fériés
et est doublée d'une interdiction d'ouverture des commerces, entreprises
et artisanat (sauf dérogations prévues).
Un des
responsables de la société Somodia affirme que seuls travaillaient le
dimanche les membres familiaux de la société à l'exclusion des employés.
Nous ne sommes pas en mesure de vérifier cette affirmation.
Nous ne
nourrissons aucune sympathie pour une société qui entendrait ne pas
respecter le repos dominical auquel ont droit les salariés. Cependant les
attendus énoncés par le Conseil constitutionnel ne manquent pas de
surprendre.
La société
Somodia contestait la constitutionnalité de l'article L.3134-11 du code du
travail applicable seulement en Alsace-Moselle en vertu de l'article
L.3134-1 du même code.
La société
considérait que cet article ne respectait pas une liberté et un droit
garantis par la constitution.
Selon elle,
l'article incriminé :
-
ne respectait pas le droit à l'égalité (ici entre
entreprises situées en Alsace-Moselle ou dans le reste du pays). Droit à
l'égalité inscrit dans la constitution (art. 1et 2) et dans le droit
commun.
-
ne respectait pas la liberté d'entreprendre, liberté
inscrite dans l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789.
L'article
L.3134-11 stipule "Lorsqu'il est interdit, en application des articles
L.3134-4 à L.3134-9, d'employer des salariés dans des exploitations
commerciales, il est également interdit durant ces jours de procéder à une
exploitation industrielle, commerciale ou artisanale dans les lieux de
vente au public. Cette disposition s'applique également aux activités
commerciales des coopératives de consommation ou associations".
De notre
point de vue, c'est un article protecteur pour les salariés. Il préserve
leur droit au repos, fixé légalement le dimanche, et leur évite de
"travailler plus pour gagner - un peu -plus"… le dimanche. Le problème est
que le Conseil constitutionnel devait vérifier si l'interdiction
d'ouverture des commerces le dimanche liée à celle de travailler (sauf
dérogation) ne contrevient pas à des principes constitutionnels.
LA
COMPLEXITE DU PROBLEME DU TRAVAIL LE DIMANCHE.
En droit
local le principe général est l'interdiction du travail le
dimanche doublée d'une interdiction d'ouverture sauf secteurs en
dérogation (art. 3134-2 et 3134-11).
Il existe :
* des
dérogations de droit (restauration, hôtellerie, débits de boisson,
spectacles, expositions, divertissements, transports, travaux dans
l'intérêt du public, surveillance, nettoyage etc…)
* des
dérogations administratives délivrées de manière permanente ou
temporaire par le Préfet, le département ou le Maire.
Certains
secteurs comme la fonction publique ne relèvent pas du droit local. Dans
le n° 55 de la revue du droit local (RDL) deux juristes remarquent : "la
multiplicité des réglementations applicables est en effet une
caractéristique des règles locales. Elle constitue également un facteur
important de leur complexité…"
En droit
général (ou droit commun), le principe général est celui de
l'obligation d'une journée hebdomadaire de repos donnée sans interruption,
soit 24 heures auxquelles s'ajoutent 11 heures (cumulées) de repos
quotidien (art. L.3132-1 et L.3132-2). Sans qu'il y ait une interdiction
formelle du travail du dimanche, l'article L.3132-3 impose le dimanche
comme étant ce jour de repos : "dans l'intérêt des salariés, le repos
hebdomadaire est donné le dimanche".
Dans le
droit général, la multiplicité des dérogations (de droit, conventionnelles
et administratives) ainsi que leur application géographique et par secteur
d'activité rend ce droit très complexe.
Dans le n°
55 de la RDL, un juriste de la faculté de droit de Strasbourg décrit le
droit au repos dominical comme "une sorte de pâtisserie en mille feuilles,
comme le droit alsacien-mosellan".
La
réglementation locale est restée inchangée depuis la première moitié du 20e
siècle.
Pour le
commerce la réglementation diffère parfois entre quelques villes et le
reste du département.
Dans les
faits, compte tenu de la durée du travail à 35 heures, le repos
hebdomadaire s'étend sur deux jours, samedi et dimanche.
Le droit
local s'est constitué sur la base d'une imbrication du social et du
religieux. Cette imbrication est toujours apparente dans les articles
L.3134-4 et L.3134-5.
En cas de
travail le dimanche, l'article L.3134-4 précise que "Les heures pendant
lesquelles le travail a lieu sont déterminées, compte tenu des horaires
des services religieux publics, par des dispositions statutaires…".
Non seulement le service religieux interfère directement sur la
législation, mais il est qualifié de "public", comme s'il était un
"service public".
Le droit
général est d'inspiration laïque, mais aussi libérale (au sens
économique). En favorisant le commerce et l'activité économique, il
protége moins bien les salariés.
Sous
couvert de coller aux désirs de la société actuelle, le législateur
encourage la frénésie de consommation qui fragilise la protection des
salariés et enrichit considérablement les actionnaires principaux des
groupes commerciaux, industriels ou de services.
La
complexité des législations ainsi que la cohabitation d'un droit local et
d'un droit général sont source d'ambiguïtés juridiques.
Ambiguïtés
au sein du droit local.
Les
articles L.3134-2et L.3134-11 interdisent l'emploi salarié et l'ouverture
des commerces le dimanche. Dans le même temps, l'article L.3134-4 stipule
"Dans les exploitations commerciales, les salariés ne peuvent être
employés le premier jour des fêtes de Noël, de Pâques ou de Pentecôte.
Les autres dimanches et jours fériés, la durée du travail ne peut dépasser
cinq heures" (travail de 8 heures du matin à 13 heures). Cette mesure
peut être corrigée à la baisse ou annulée par les départements ou
communes.
De plus,
pour la période de Noël et des périodes d'activité accrue, "l'autorité
administrative peut porter le nombre d'heures travaillées jusqu'à dix".
Cet article
ne précise pas combien de dimanches et jours fériés pourraient ainsi être
travaillés. S'agit-il exclusivement des cinq dimanches autorisés ?
Lors du
colloque de l'IDL, la commission "Commerce" a estimé : "Il n'y a donc pas
besoin d'intervention ni du pouvoir législatif, ni du pouvoir
réglementaire pour permettre la modulation des ouvertures selon les
desideratas de la population". Toutefois, elle a souhaité, comme d'autres
commissions, de "ne pas permettre l'ouverture des commerces le dimanche
au-delà de ce qui existe à ce jour".
Ambiguïtés
entre le droit local et le droit général.
Nous
abordons là un point essentiel dans le litige porté par la société Somodia.
Pour vérifier la rupture d'égalité, il faut comparer au moins deux
situations : celle engendrée par le droit local et celle engendrée par le
droit général. Comparaison d'autant plus nécessaire que, concernant le
travail le dimanche, des éléments du droit général ont été introduits dans
le droit local.
Au niveau
des principes directeurs, poser le principe d'interdiction du travail
dominical (droit local) ne revient pas au même que poser, en miroir, le
principe du repos hebdomadaire obligatoire (droit général).
Cette
différence de principe peut en effet entraîner, dans les faits, des
distorsions de traitement dont il faut tenir compte.
Pour
apprécier la recevabilité de la décision du Conseil constitutionnel, il
faut aussi clairement séparer deux domaines, le domaine social et le
domaine juridique qui ne s'accordent pas nécessairement.
Pour nous,
le domaine social est celui du progrès social ou du moins de sa non
dégradation en matière de droit du travail des salariés, c'est celui de la
résistance au consumérisme galopant qui engendre la multiplication des cas
de surendettement et hypnotise des catégories sociales entières et c'est
celui du développement du lien social par les activités collectives.
Dans ce
domaine, force est de constater que le droit local est plus protecteur que
droit général.
Le domaine
juridique
est celui
des lois en vigueurs, qui peuvent être combattues et améliorées (encore
que l'époque ne s'y prête guère) et qui doivent être conformes à la
constitution et aux principes constitutionnels.
De
nombreuses lois locales, comme les lois non laïques, ne sont, de toute
évidence, pas conformes à la constitution.
Dans de
nombreux cas, la législation locale est plus favorable aux usagers et
citoyens que dans le reste de la France (droit du travail, sécurité
sociale, éducateurs etc…). Cependant, concernant la sécurité sociale, le
régime local n'est favorable que parce que les salariés cotisent davantage
que dans le reste du pays.
Dans
d'autres cas, la législation est moins favorable localement qu'en droit
général. Contrairement au droit commun, le droit local ne prévoit pas de
compensations au travail du dimanche. Ce sont des accords collectifs de
travail qui s'appliquent en Alsace-Moselle.
Dans
d'autres cas encore (législation non laïque), le régime local porte
atteinte à des libertés fondamentales (liberté de conscience).
Le droit
local doit donc être examiné au cas par cas,
ce qui ne pose aucun problème car les législations sont indépendantes les
unes des autres y compris en matière de droit des cultes.
Modifier un
élément du droit local n'implique aucunement d'en modifier les autres
aspects. La preuve en est que les défenseurs du droit local ont participé
à l'harmonisation d'une partie de cette législation (codification).
La décision
du Conseil constitutionnel a validé un article du droit local. Cela ne
signifie nullement qu'il en serait de même pour d'autres éléments du droit
local qui, comme le droit des cultes ou le Statut scolaire local, sont en
contradiction flagrante avec le principe constitutionnel de laïcité.
LES
CONSIDERANTS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL.
Sur la
validité juridique du droit local.
Le Conseil
constitutionnel reprend à son compte l'argumentaire du Conseil d'Etat en
matière de droit local d'Alsace-Moselle.
Il constate
que le législateur de la République a, par trois fois, maintenu en vigueur
une partie de la législation locale d'Alsace-Moselle, à titre
provisoire (lois du 17 octobre 1919 et 1er juin 1924 et
ordonnance du 15 septembre 1944). Le problème est que ce provisoire s'est,
dans les faits, pérennisé. Les responsables politiques, par choix ou
crainte de réactions, ne veulent pas abroger ou harmoniser avec le droit
commun une partie de cette législation locale.
Partant de
l'existence d'une "législation républicaine antérieure à l'entrée en
vigueur de la Constitution de 1946" maintenant applicable le droit local
à titre provisoire, le Conseil constitutionnel en a conclu que
cette situation "a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont
pas été remplacées par des dispositions de droit commun ou harmonisées
avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières
aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent
demeurer en vigueur…"
Ce faisant,
reprenant simplement la jurisprudence du Conseil d'Etat, il "consacre" la
validité des législations locales pour en tirer ensuite un argument de
constitutionnalité.
En matière
de laïcité, le Conseil d'Etat avait souvent utilisé cet argument notamment
pour l'arrêt SNES du 6 avril 2001. Les juristes de l'Institut du droit
local (IDL) s'en étaient félicité mais restaient inquiets, tout
particulièrement, sur la constitutionalité du droit local des cultes et du
Statut scolaire local.
Ils
constataient : "Le Conseil d'Etat n'a pas statué sur la question de savoir
si le principe de laïcité est compatible ou non avec l'organisation par la
loi d'un enseignement religieux à l'école publique…"
Ils
avaient, à plusieurs reprises, émis des doutes sur cette
constitutionnalité. A l'époque où la QPC n'existait pas encore, Pierre
Koenig, juriste, président d'honneur de l'IDL, écrivait qu'en cas de
modification de la législation sur les cultes "Il n'est évidemment pas sûr
que la jurisprudence du Conseil constitutionnel rejoindrait celle,
précitée, du Conseil d'Etat. Il existe donc non seulement un risque de
constat "abstrait" d'irrégularité constitutionnelle dégagée par l'analyse
doctrinale, mais également un risque "concret"…". Eric Sander, Secrétaire
général de l'IDL, faisait part, à l'occasion du bicentenaire du Concordat,
de la "relative incertitude quant à la décision qu'ils (les magistrats du
Conseil constitutionnel) seraient susceptibles de rendre" s'ils étaient
saisis du problème de la constitutionnalité du Concordat.
La seule
limite posée par le Conseil constitutionnel dans l'affaire Somodia, est
"qu'à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit
commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans
la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas
accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi…"
On peut
tirer deux conséquences de cette disposition :
-
D'une part, le Conseil constitutionnel rappelle simplement que la
codification du droit local s'est effectuée "à droit constant".
-
Mais d'autre part, il signifie qu'une législation autonome
régionale nouvelle, s'écartant du droit général ne serait pas
constitutionnelle. Voilà qui est important par rapport aux projets
d'extension du statut scolaire local à d'autres religions que les quatre
reconnues.
Les
considérants directement liés à la QPC.
Le Conseil
constitutionnel examine ensuite les deux causes de non conformité de
l'article L.3134-11 avec la constitution, invoquées par la société Somodia,
Sur le
respect du principe d'égalité :
On ne peut
qu'être sidéré par la brièveté et la nature de l'argumentation du Conseil
constitutionnel (alinéa 4). Il considère, sans autre forme de procès, que
la législation locale étant applicable, "le principe d'égalité entre les
départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, d'une part, et
les autres départements, d'autre part, doit être écarté".
Il
considère donc que la législation d'exception d'Alsace-Moselle justifie
des situations d'exception par rapport au reste de la France.
Heureusement que l'Alsace-Moselle n'est pas soumise à un régime politique
local dictatorial !
Le Conseil
constitutionnel aurait dû constater la distorsion juridique, en matière de
repos dominical entre l'Alsace-Moselle et le reste de la France.
En
particulier il aurait dû constater que l'interdiction formelle du travail
salarié et d'ouverture des commerces le dimanche ne concerne que
l'Alsace-Moselle.
Il aurait
dû faire le point sur l'apparente contradiction entre les articles
L.3134-2 et 11 d'une part et l'article L.3134-4 d'autre part.
Il aurait
dû ensuite estimer si la distorsion établie entre le droit local et le
droit général, en la matière, était ou non de nature à causer une rupture
d'égalité.
le litige
soulevé par la société Somodia portait sur ces interrogations.
Ce n'est
pas parce qu'ils ont une existence légale que les éléments du droit local,
sont, du même coup, constitutionnels.
La
constitutionnalité intrinsèque de l'article L.3134-11 n'a pas été vérifiée
en ce qui concerne le non-respect de l'égalité de traitement, en matière
de travail dominical, entre l'Alsace-Moselle et le reste du territoire
national.
Sur la
liberté d'entreprendre.
Les
arguments du Conseil constitutionnel se structurent en trois temps :
Les limites
constitutionnelles à la liberté d'entreprendre.
Le Conseil
constitutionnel qui considère "que la liberté d'entreprendre découle de
l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789 ; qu'il est toutefois loisible au législateur d'apporter à cette
liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou
justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte
pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif
poursuivi". Cette déclaration est conforme à l'article 34 de la
Constitution qui confère à la loi l'élaboration des principes fondamentaux
du droit du travail.
La liberté
laissée au législateur de limiter la portée d'un principe constitutionnel,
dans l'intérêt général, est constitutionnelle. Elle ne constitue pas un
abus de pouvoir si son objet est proportionné au problème posé.
Le droit
local, en matière de repos dominical, répond à l'intérêt général.
Le Conseil
constitutionnel considère ensuite que les articles L.3134-2 et L.3134-11
encadrent "les conditions de concurrence entre les établissements quels
que soient leur taille ou le statut juridique des personnes qui y
travaillent ; Que, dès lors, elles répondent à un motif d'intérêt
général "
C'est un
premier motif de rejet de l'argument d'entrave à la liberté
d'entreprendre.
Le
législateur à opéré une conciliation non disproportionnée à l'objectif
poursuivi.
Il se
réfère à l'alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose :
"la nation assure à l'individu et à sa famille les conditions
nécessaires à leur développement."
Les
conditions évoquées correspondent ici au repos dominical obligatoire en
droit local. Ce faisant le Conseil constitutionnel considère que les
limites apportées par le droit local à la liberté d'entreprendre ne
sont pas disproportionnées par rapport à l'objectif qu'elles
poursuivent le bien être des salariés.
C'est une
deuxième raison d'écarter le motif d'atteinte à la liberté d'entreprendre.
Jusque là,
nous ne pouvons qu'être d'accord avec le Conseil constitutionnel, les
droits des salariés en matière de repos hebdomadaire doivent être
préservés (en Alsace-Moselle) et améliorés (dans le reste de la France).
Cependant
nous soulèverons deux objections à cette argumentation, juridiquement
étayée et fort brillante.
Le Conseil
constitutionnel ne raisonne qu'en terme de droit local. Certes, ici, c'est
possible juridiquement, mais il évite ainsi de comparer le régime local au
régime général et de constater les disparités. En particulier le Conseil
constitutionnel n'a pas examiné le problème d'une éventuelle distorsion
entre les possibilités légales d'ouverture de commerces le dimanche entre
l'Alsace-Moselle et le reste du territoire national.
De plus, le
Conseil constitutionnel ne prend pas en compte le fait (s'il est avéré)
qu'aucun salarié n'était appelé à travailler les dimanches d'ouverture du
magasin.
Tant qu'il
en sera ainsi, l'argumentation sociale du Conseil constitutionnelle reste
virtuelle. Elle peut tout au plus protéger les salariés au cas où, dans
l'avenir, les gérants du magasin demanderaient à des salariés de
travailler le dimanche et jours fériés.
LA DECISION
DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL.
Le Conseil
constitutionnel "Considérant que les dispositions contestées ne sont
contraires à aucun droit ou liberté que la constitution garantit,
Décide :
Article 1er
- L'article L.3134-11 du code du travail est conforme à la
constitution."
Si positive
soit-elle sur le plan social, une argumentation virtuelle concernant la
protection des salariés peut-elle fonder un argument de
constitutionnalité ? Un argumentaire concernant l'ouverture du magasin par
les seuls gérants était nécessaire, car il aurait répondu à la situation
concrète.
Le Conseil
constitutionnel n'a pas non plus étudié les conséquences de l'article
L.3134-7 qui évoque des dérogations en fonction de "la satisfaction de
besoins de la population présentant un caractère journalier ou se
manifestant particulièrement ce jour là".
Certes cet
article va dans le sens de la dérégulation, mais, juridiquement, il existe
et il fait partie de l'argumentaire de la société Somodia.
Enfin, nous
avons montré qu'en ce qui concerne le grief de rupture d'égalité, le
Conseil constitutionnel n'a fourni aucune justification à sa conclusion,
ce qui semble indiquer qu'il ne disposait pas d'arguments juridiques
sérieux. Cette attitude désinvolte est d'autant plus curieuse qu'en
pratique les effets des articles locaux L.3134-2 et L.3134-11 d'une part
et de l'article L3132-3 du code général d'autre part, sont finalement
assez proches.
La loi du
10 août 2009, impulsée par N. Sarkozy, a assoupli la règle générale
attribuant le repos hebdomadaire le dimanche. Elle crée deux zones
particulières ou des commerces peuvent ouvrir le dimanche : les zones
touristiques et les périmètres d'usage et de consommation exceptionnelle
(PUCE concernant Paris, Lille, Marseille). Les autres zones restent
soumises au repos dominical le dimanche avec une possibilité d'ouverture 5
dimanches par an.
Un
hypermarché Auchan de Perpignan, soumis au droit général, situé à 300
mètres à l'extérieur de la zone délimitée touristique, voulait ouvrir le
dimanche. Il argumentait qu'un autre hypermarché situé, lui, dans la zone
délimitée pouvait ouvrir et qu'il y avait distorsion de concurrence. Il a
été débouté par le tribunal et soumis à une astreinte de 100.000 euros par
infraction. Il a fait appel.
Ce jugement
n'est pas éloigné de ceux qui ont condamné la société Somodia soumise au
droit local.
Ce qui pose
problème, ce n'est pas tant que l'article L.3134-11 ait été déclaré
conforme à la constitution, c'est l'absence de justifications juridiques
en profondeur qui plombe la décision du Conseil constitutionnel. Une
décision aussi importante, la reconnaissance constitutionnelle d'un
article du droit local, méritait pour être pleinement crédible
juridiquement, un traitement plus approfondi.
Nos doutes
sur le caractère juridique de la décision sont encore renforcés par un
autre élément de l'argumentaire du Conseil constitutionnel : la promotion
des lois de prorogation du droit local au rang de principe fondamental
reconnu par les lois de la République.
UN COUP DE
FORCE ?
Dans
paragraphe 4 des considérants, après avoir rappelé que "la législation
républicaine antérieure à la constitution de 1946" avait maintenu
provisoirement en vigueur un droit local, le Conseil constitutionnel
conclut "Que telle est la portée du principe fondamental reconnu par
les lois de la République en matière de dispositions particulières
applicables dans les trois départements dont il s'agit ; que ce principe
doit aussi être concilié avec les autres exigences constitutionnelles…
"(dans ce cas, principe d'égalité et respect de la liberté d'entreprise).
Sans
s'appesantir, comme si c'était anodin, le Conseil prend ici une décision
importante, il donne au principe de la reconnaissance provisoire du droit
local une valeur constitutionnelle en l'anoblissant "principe
fondamental reconnu par les lois de la République".
Cette
décision apparaît d'autant plus surréaliste qu'elle n'apporte,
juridiquement, rien de plus à la situation actuelle. Tant que la
vérification constitutionnelle des lois locales n'aura pas été effectuée,
les lois de prorogations continueront à rendre le droit local applicable
selon la jurisprudence du Conseil d'Etat.
Constitutionnaliser le principe de prorogation ne change rien. Cette
décision vise à envoyer un signal politique fort à tous ceux qui
tenteraient de faire évoluer certains aspects du droit local qu'ils
contestent et jugent négatifs.
A ce sujet,
l'exemple du droit au repos dominical montre toute l'ambiguïté de la
codification du droit local. La modernisation du droit local s'effectue à
la marge. La codification a surtout servi à le mettre à l'abri dans le
droit commun tout en conservant son caractère d'exception locale. La
codification n'a fait que compliquer un peu plus le "mille feuilles"
juridique.
Tous ceux
qui pour des raisons politiques, communautaires, religieuses refusent
toute évolution démocratique de certaines lois locales (droit des cultes,
Statut scolaire) peuvent se sentir confortés. Toutefois, ils n'ignorent
pas la fragilité juridique des attendus de la décision du Conseil
constitutionnel dans l'affaire Somodia. Ils n'ignorent pas non plus que
les législations du droit local sont toutes indépendantes les unes des
autres. Déclarer un article d'un code local conforme à la constitution
n'implique pas d'aboutir à la même conclusion avec un autre élément du
droit local.
Cependant,
vu la faiblesse des arguments utilisés, il apparaît que le Conseil
constitutionnel entend bien, par tous les moyens, préserver le statut quo
sur le droit local.
CONCLUSION.
Après
l'arrêt, en appel, de la Grande Chambre de la CEDH dans l'affaire Lautzy
qui valide l'accrochage des crucifix dans les salles de classes des écoles
publiques italiennes, voici un nouveau revers pour les laïques
d'Alsace-Moselle. Une autre haute assemblée, le Conseil constitutionnel
français, vient à l'occasion d'une QPC (par ailleurs antipathique) de
confirmer la validité du droit local alsacien-mosellan tant que le
législateur n'abrogera ni n'harmonisera pas ce droit avec le droit commun.
Nous voilà
donc officiellement arrimés à la case départ. Cette certitude nous évitera
un débat intéressant mais qui eut, sans doute, été difficile pour la
cohésion des associations laïques d'Alsace-Moselle, celui d'un éventuel
recours à une QPC sur la question du Statut scolaire local.
Le problème
reste cependant entier. Même si la fréquentation du cours de religion
s'étiole d'année en année, la route sera longue avant que cette
fréquentation devienne insignifiante.
De plus,
juridiquement l'assistance à ce cours reste obligatoire en primaire et
secondaire même si la dispense permet de contourner l'obligation.
Nous
pouvons même avancer que la baisse de fréquentation va s'infléchir et que
la fréquentation restera à un étiage suffisant pour que les autorités
religieuses et civiles favorables au statut quo ou à l'extension du Statut
local restent sourdes à notre demande de rendre cet enseignement
réellement optionnel.
Ce blocage
nous conduit à poursuivre notre action et à réfléchir avec tous nos
partenaires laïques à la conduite à tenir durant les prochaines années.
Les
responsables de l'Institut du Droit Local ont eu le triomphe modeste. Ils
se sont déclarés "satisfaits" de cette décision mais ont affirmé leur
volonté de rester "vigilants" devant les tentatives de porter atteinte au
droit local.
Nul doute
qu'ils se sont activés avant la réunion du Conseil constitutionnel
concernant cette QPC. Le représentant des partisans de ce Statut local, le
sénateur Hubert Haenel, ne participait pas à la séance du Conseil, mais il
avait eu, auparavant, tout le temps de mettre en garde le Conseil contre
la vérification réelle de la constitutionnalité de certains aspects du
droit local dont 1/5 est constitué par le droit des cultes.
Les
laïques, partisans de modifications du statut scolaire local, ne doivent
donc pas baisser les bras. Les limites fixées par le Conseil
constitutionnel à d'éventuelles modifications du droit local constituent
un frein aux tentatives déjà engagées par les partisans de l'enseignement
religieux à l'Ecole publique d'élargir ce Statut à d'autres religions dont
l'islam.
Au cours de
la rédaction de ce texte, nous nous sommes posé le problème de l'attitude
à adopter vis à vis du droit local.
Deux
possibilités semblent pouvoir se dessiner :
·
Jusqu'à
présent, beaucoup pensaient qu'il fallait simplement militer pour
conserver les aspects positifs du droit local et tenter d'en faire évoluer
les aspects négatifs. Cette orientation s'appuyait sur l'indépendance des
législations locales. Elle était perçue comme ayant l'avantage de ne pas
heurter un attachement (peu rationnel) de la majorité des
Alsaciens-Mosellans aux aspects positifs du droit local. Elle avait aussi
l'avantage de ne pas heurter de front les politiques, les cultes, les
administratifs, les partisans du maintien d'un droit local garant de la
spécificité alsacienne-mosellane.
·
Une seconde
option est possible. Proposer une unification du droit local et du droit
général. Cette unification est entamée, mal entamée, avec la codification
qui empile encore plus d'articles et complexifie le droit. Cela suppose de
définir les principes progressistes que nous souhaitons comme références
pour l'unification juridique. Ensuite il faudra les appliquer à chaque
problème juridique pour déterminer les législations les plus judicieuses,
les plus progressistes à puiser soit dans le droit local, soit dans le
droit général. Une telle opération a déjà permis d'utiliser des
législations de droit local comme modèles pour le droit général, par
exemple pour la modernisation du code procédure civile.
·
Bien sûr,
pour la législation sur les cultes et le Statut scolaire local il faudrait
une sérieuse négociation et sans doute un calendrier. Le concordat serait
peut-être un casus belli à éviter. Dans les autres domaines, les parties
prenantes sont demandeurs d'évolution (voir le colloque sur le travail du
dimanche). Il y aurait là un effet d'entraînement qui mettrait en porte à
faux les partisans du maintien, coûte que coûte, d'un particularisme.
Cette démarche progressiste devrait recueillir l'assentiment de la
majorité de la population.
Les
juristes de l'IDL, gardiens du temple du particularisme, ne s'y trompent
pas. En introduction des actes du colloque sur le travail du dimanche, J.M.
Woehrling (président de l'IDL) reconnaît la nécessité d'aménagements en
évoquant d'inévitables remises en causes du droit local : "Ces remises en
causes peuvent venir du débat politique national comme de la discussion
sociétale générale. Mais elles peuvent résulter aussi des faiblesses,
des complexités et des archaïsmes qui affectent le droit local du
repos dominical et des jours fériés…"
·
Lors du
colloque de l'IDL, les rapporteurs synthétisant les conclusions des
ateliers industrie, commerce et artisanat concluent : "En conclusion,
derrière le débat de la compatibilité du droit local du repos dominical et
des jours fériés dans l'industrie avec le droit général national et
européen est sous entendue la délicate question de la "laïcisation" du
droit local".
·
Nous
ajouterons, et le problème est aussi lié à la laïcisation, qu'il faudra
vaincre les crispations régionalistes, identitaires, nostalgiques d'un
passé "où les institutions religieuses, idéologiques, ou politique en
dictant le sens à donner au dimanche, voyaient la majorité des personnes
obéir", (François Wernert enseignant à la faculté de théologie
catholique). La CFTC continue de coupler ses préoccupations sociales avec
des références "aux dispositions du droit local, témoignage concret d'un
passé spécifique à l'Alsace-Moselle". A l'occasion du 15e
anniversaire de l'IDL, les DNA titraient : "Le droit local fondement de
l'identité régionale" (8/10/200).
Une réunion
sera programmée pour faire le point avec les organisations laïques
d'Alsace-Moselle. Il serait bon que le maximum de membres et sympathisants
de "Laïcité d'Accord" participent à cette réunion importante pour le moral
des troupes et l'avenir du mouvement laïque.
Claude
HOLLÉ, pour Laïcité d'Accord
Août-septembre 2011.
Pour se
procurer le texte de la décision du Conseil constitutionnel faire :
"Conseil constitutionnel décision 2011-157 QPC"
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