Le statut scolaire d'Alsace-Moselle

Les bases juridiques du statut scolaire local

Traduction des textes de l'empire allemand (1873)

Circulaire La Chambre sur la dispense (1933)

 

 

 

Le statut scolaire d'Alsace-Moselle :
un statut anachronique !
une situation de non-droit ?

 

Une situation d'exception en Alsace-Moselle

L'histoire explique la situation juridique particulière de la région (française jusqu'en 1871, annexée à l'Allemagne entre 1871 et 1918, puis de nouveau française, puis envahie par l'Allemagne hitlérienne jusqu'à la Libération). De nombreuses dispositions réglementaires et juridiques y sont spécifiques - le droit allemand du IIe Reich y a été maintenu (droit des associations, de la chasse, dispositions particulières pour la Sécurité sociale…) , alors que certaines lois françaises n'y ont pas été introduites (lois de J. Ferry 1882-1886, loi de 1905 séparant les Églises et l'État).

Cependant, ce droit local s'avérant bien souvent plus favorable pour les citoyens de la région que le droit français, son maintien ne soulève aucune objection de fond de notre part.

Plus problématiques pour nous sont les dispositions qui vont à l'encontre de la Constitution de la République, ne respectant pas la laïcité, et ce dans 2 domaines :

- le statut concordataire (depuis 1801), faisant des Églises des partenaires de l'État, et des ministres des cultes des fonctionnaires… et permettant par exemple de faire figurer sur un livret de famille les actes religieux tels que baptême ou mariage… ou à tel tableau d'inspiration religieuse de figurer dans un lieu neutre comme un palais de justice… ou encore faisant de la France le seul pays européen, en l'an 2000, dans lequel le Chef de l'État nomme évêque et archevêque (Metz, Strasbourg)…

- le statut scolaire local se caractérisant par “l'obligation” d'un enseignement religieux (qui n'a pas son origine dans le Concordat,)… et autorisant par exemple la mention de l'appartenance religieuse dans les fichiers nominatifs d'élèves….

Le statut scolaire d'Alsace-Moselle

Basé sur l'obligation d'un enseignement confessionnel de religion (l'une des 3 religions officielles : catholique, protestante et israélite) y compris dans l'enseignement public, avec il est vrai une possibilité de dispense (mais cette possibilité est parfois confidentielle, et dans la pratique les autorités religieuses ont mis en place des modalités arbitraires, sous couvert de la démission des instances de l'État).

Il semble que ces dispositions pourraient perdurer ad vitam aeternam puisqu'aucune instance légale et démocratique ne pourrait les modifier - hormis le Parlement ou le Gouvernement…

Ce statut est rétrograde, anachronique, figé : il ne tient aucun compte des évolutions de la société : multiplication des croyances, déprise des pratiques religieuses. Les chiffres parlent d'eux-mêmes :

- dans l'Académie de Strasbourg, en 1977, le pourcentage de collégiens du public à demander une dispense de cours confessionnel de religion était de 45 %, en 1999 : 66%.

- dans les lycées, en 1996, 90% des élèves en étaient dispensés, en 1999, ils étaient 96 % = déprise religieuse et/ou prise de conscience par les jeunes et les parents que la transmission d'une confession n'est pas l'affaire de l'École ?.

Dans ce contexte on assiste à une tentative de la part des pouvoirs cléricaux de garder la main mise sur l'enseignement confessionnel dans l'école publique en masquant la forme et la nature de ces cours (”accueil”, “animation” autour de causes humanitaires, des droits de l'homme (!), “éveil culturel et religieux”…), et en mettant en place des procédures permettant d'institutionnaliser souterrainement ce prosélytisme (inscription d'office à l'emploi du temps des élèves dans certains établissements, pressions sur des chefs d'établissements pour le maintien des cours malgré les très faibles effectifs, seuil minimal de 5 élèves pour l'ouverture ou le maintien de ces cours - alors qu'il est de 15 élèves dans d'autres disciplines - , création d'un CAPES…) : combat d'arrière garde au regard des évolutions sociologiques, il vise à garder le contact avec la jeunesse alsacienne-mosellane - au prix de contorsions de plus en plus difficiles à tenir…

Ce statut est en complète contradiction avec les principes de la République : laïcité et respect de la liberté de conscience.

Or ce statut est caractérisé par une base juridique, légale et réglementaire, peu claire, voire incertaine (qu'en est-il de l'obligation et de la gratuité scolaires ? les textes de références incluent-ils des ordonnances allemandes prises avant l'annexion de 1871 ? La dispense d'enseignement religieux est-elle fondée sur la circulaire de 1933, ou la loi de 1936 ? Quels textes pour l'enseignement secondaire ?…). Sommes nous dans un no-mans-land juridique ? Dans une situation ou les pratiques ont fini par acquérir un “statut” de droit coutumier ?

De plus, il n'existe aucun recueil officiel des textes de référence de ce statut. Le Rectorat de Strasbourg est dans l'incapacité de les communiquer, et ne les connaît visiblement pas en détail. L'opacité est la règle ! Les informations sur la situation de l'enseignement religieux dans l'enseignement public sont floues et imprécises, lorsqu'elles nous sont accessibles…

De même, l'Institut de Droit Local, association déclarée d'utilité publique et regroupant des représentants de la Région comme de l'Etat, n'a visiblement pas réalisé cette synthèse ordonnée. L'opacité semble entretenue sciemment.

En outre, le Code de l'Education (2000) ne dit mot du statut scolaire d'Alsace-Moselle (alors qu'il prévoit des dispositions pour la Nouvelle-Calédonie, ou Wallis et Futuna…), ce dont nous ne pouvons réellement nous plaindre : nous demandons tout simplement qu'il soit déclaré obsolète !

Dans ce contexte, nous avons appris l'inscription de postes au CAPES réservé de religion (JO du 29 janvier 2000) - concours national à portée régionale ? - seule voie de titularisation de certains personnels ? - certes, mais instituant du même coup l'enseignement confessionnel de religion comme une matière d'enseignement… Sommes-nous dans une République laïque ? Encore ? Les réponses du Ministère ne nous ont pas convaincus : ” il ne s'agit pas d'un CAPES ! - c'est une erreur …” (M. Mélenchon, pour le Ministre, oct. 2000).

De même, nous avons appris la tentative de création d'une faculté de théologie musulmane à Strasbourg - en dehors de toute disposition légale - alors que selon nous il serait plus opportun de couper les liens entre l'université et les autorités religieuses plutôt que d'en créer de nouveaux…

Nos demandes et propositions

- Nous demandons que cesse ce jeu indigne de la République et néfaste à la démocratie : les informations doivent être facilement accessibles aux citoyens dès lors qu'il s'agit de la chose publique !

- Nous demandons que le Ministère fasse établir un recueil ordonné des lois, règlements et circulaires en vigueur dans les établissements scolaires d'Alsace-Moselle.

- Nous demandons que le Ministère publie dans le BO et le JO le rectificatif recaractérisant le concours réservé de CAPES de religion.

- Nous demandons que le Gouvernement de la République rende l'enseignement confessionnel de religion dans les établissements publics facultatif, dans un premier temps - pour aboutir ultérieurement à une réelle séparation de l'Enseignement public et des Églises en Alsace-Moselle.

- Nous insistons sur ce point que le fait culturel religieux est une composante de la culture tout court - et qu'à ce titre il doit faire (et fait) partie des programmes d'enseignement de disciplines telles que les lettres, l'histoire-géographie, les sciences sociales, la philosophie - et ne peut et ne doit être compris comme la transmission d'une foi, d'une croyance, un moment de prosélytisme toléré par l'État.

Cet enseignement est l'affaire d'hommes de science, et non d'hommes de foi.

Décembre 2000


 

 

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Quelques bases juridiques du statut scolaire local

 

L'évolution, vers la laïcité, du SSL ne passera pas par les tribunaux administratifs ou le Conseil d'état. D'une part parce que suivant les recommandations des concepteurs  de la loi de 1905, le Conseil d'état s'est toujours prononcé dans le sens le plus favorable aux cultes. D'autre part parce qu'il existe un fatras de législations anciennes, françaises et allemandes, toujours non abrogées, auxquelles se réfèrent les partisans de ce statut.

C'est pourquoi il importe d'approcher, autant que faire se peut pour un non-juriste, l'état de cette législation. De nombreuses études sont déjà parues,  rédigées par des membres d'organisations laïques (FSU 57, cercle Jean Macé, SNI, SNPDES, SNES, Ligue de l'enseignement, sections de LDH  etc…) ; par au moins un sociologue alsacien (R. Pfefferkorn) et pour les partisans du SSL  par : le rectorat de Strasbourg, les juristes de l'IDL, la compilation de Le Laennec etc... Cette synthèse emprunte quelques  passages à certains précurseurs. 

Tout commence avec la défaite de Sedan en septembre 1870 qui sonne la fin du  second empire et l'annexion de l'Alsace et de la Moselle par l'Allemagne. L'empire allemand ( IIe Reich )  est proclamé à Versailles le 18 janvier 1871, la capitulation et l'armistice signés le 28 janvier, la convention de paix signée à Versailles le 26 février et le traité de ratification rendant l'annexion officielle, signé à Francfort le 10 mai 1871.

 

I) TEXTES  INSTITUANT L'OBLIGATION DE L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX POUR LES ELEVES A L'ECOLE PRIMAIRE. 

A) LE TEXTE DE REFERENCE. 

Tous les zélateurs du SSL se réfèrent unanimement à ce texte : la loi Falloux du 15 mars 1850 officiellement non abrogée en Alsace-Moselle, mais en fait modifiée par l'empire allemand et dont de nombreux articles ne sont plus appliqués sans avoir été  abrogés. 

Cette loi a été votée par une assemblée monarchiste et bonapartiste, anti-républicaine et ouvertement cléricale mettant tout le système d'enseignement public sous le contrôle des cultes reconnus donc essentiellement de l'Eglise catholique, confessionnalisant les écoles primaires, créant la liberté d'enseignement c'est à dire les écoles privées (dites libres) et en fait essentiellement catholiques. La religion était indispensable pour instruire le bon peuple dans le respect des valeurs morales, elle devait donc être enseignée. 

 En Alsace-Moselle, seul l'article 23 sert de base juridique : " L'enseignement primaire comprend l'instruction morale et religieuse, la lecture, l'écriture, les éléments de la langue française, le calcul, le système légal des poids et mesures. Il peut comprendre…une instruction élémentaire sur l'agriculture, l'industrie et l'hygiène, l'arpentage, le nivellement, le dessin linéaire, le chat, la gymnastique". Pour les filles, il faut y ajouter "les travaux d'aiguille".

Curieusement, les partisans du SSL ne retiennent que l'enseignement obligatoire de la religion et le Conseil d'état leur donne raison.

Notons que l'article 15 prévoit la possibilité d'écoles mixtes et/ou interconfessionnelles dans les communes où il y a trop peu d'élèves pour créer plusieurs écoles publiques confessionnelles ou non-mixtes. 

B)  LA LEGISLATION ALLEMANDE. 

Guillaume Ier n'a pas voulu s'embarrasser d'une législation centralisée, l'annexion lui suffisait, il a préféré maintenir la législation existante pour ne pas heurter les populations annexées.  Seules les structures administratives incompatibles avec celles de l'empire allemand seront supprimées (Conseil national et  Conseils départementaux de l'Education). 

C'est la loi du 9 juin 1871 qui instaure le maintien de la législation française telle qu'elle existait au 31 décembre 1870. Des ordonnances  fixeront les horaires de l'ER et l'organisation administrative de l'enseignement. 

Notons que les structures allemandes étaient moins cléricales que les françaises. L'état était en effet le seul responsable de l'enseignement qui était neutre. Cependant, pour l'Alsace-Moselle, les ordonnances du 2 février 1872 et du 4 décembre 1880 conforteront la loi Falloux en admettant une dérogation à la règle de neutralité de l'Ecole publique en vigueur dans tout l'empire. Les écoles primaires d'Alsace-Moselle resteront confessionnelles. 

Sous réserve de leur constitutionnalité, l'article 23 de la loi Falloux et  la loi du 9 juin 1871, fondent juridiquement l'obligation, pour les élèves du primaire, de suivre les cours d'enseignement religieux.

 

II) TEXTES INSTITUANT L'OBLIGATION DE L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX POUR LES ELEVES DANS LE SECONDAIRE. 

A)  UNE CURIEUSE REFERENCE. 

Les partisans du SSL citent souvent l'ordonnance du gouverneur général d'Alsace-Lorraine du 18 avril 1871 comme texte de référence. Cette ordonnance fixe la durée de la scolarité obligatoire et les sanctions en cas de manquement (avertissements, amendes, prison) et son article 13 précise " Les dispositions ci dessus sont applicables par analogie, en ce qui concerne l'absence à l'enseignement religieux donné par un ecclésiastique pendant la durée de la scolarité obligatoire".

Cependant, cette ordonnance a été promulguée avant la signature du traité de Francfort et ne peut être retenue en droit.

B) LEGISLATION FRANCAISE D'AVANT L'ANNEXION. 

Seuls le rectorat de Strasbourg dans un document de janvier 1968 et le ministère (réponse, en  octobre 2000, à une revendication du Snes  concernant l'organisation pour 5 ans d'un "CAPES de religion ") font référence aux " articles 18,22,24 du statut des collèges royaux du 4 septembre 1821 pour le culte catholique et à la circulaire du 12 novembre 1835 pour les cultes protestants et israélites.

Ces textes complètent l'arrêté du 19 frimaire an XI (10 décembre 1802) instituant l'aumônerie dans les lycées créés par Napoléon. Les aumôniers y exerçaient auprès des internes un ministère cultuel comprenant le catéchisme, la messe et les sacrements.

Le statut des collèges royaux confirme ces fonctions  (art.22 et 24) mais l'article 18 précise que l'aumônier  est "chargé d'instruire les élèves dans la religion et de leur faire contracter des habitudes religieuses" et l'article 23 indique que "l'aumônier fait, une fois par semaine, des instructions religieuses aux élèves de chaque division aux jours et heures fixés par le règlement". 

Sans qu'il  soit clairement dit que l'ER figure parmi les matières obligatoires, l'article 23 peut être interprété en ce sens.

Comme pour la loi Falloux c'est à un texte adopté par un gouvernement monarchique, ultra conservateur et clérical que se réfère, au 21e siècle, un gouvernement de la République laïque. Comprenne qui pourra !

C) LEGISLATION  ALLEMANDE.

Tous les juristes se réfèrent à la loi du 12 février 1873  sur l'enseignement et à ses ordonnances modificatrices du 10 juillet 1873, 20 juin 1883 et 16 novembre 1887.

Cette loi place "l'enseignement primaire et secondaire sous la surveillance et l'autorité de l'Etat", elle définit les conditions nécessaires pour ouvrir un établissement public d'enseignement et y enseigner. Son article 10a (ordonnance de novembre 1887) est généralement cité en référence comme justification de l'obligation, pour les élèves, d'assister aux cours de religion :  " Dans toutes les écoles, l'enseignement et l'éducation doivent tendre à développer la religion, la moralité et le respect des pouvoirs établis et des lois"

Le Conseil d'état cite régulièrement cet article comme fondant une obligation d'enseignement religieux dans le secondaire public en Alsace-Moselle.

Curieuse interprétation, cette loi :

- est de portée générale et fixe un objectif, non une modalité. "Tendre à" n'implique nullement l'organisation d'un enseignement spécifique. La preuve en est qu'aucun enseignement de "respect des pouvoirs établis" n'a été spécifiquement organisé. 

- est profondément anti-démocratique : les habitants de l'empire ne sont pas des citoyens, mais des sujets fermement invités à ne pas critiquer les pouvoirs établis 

- vise à contrôler, par l'intermédiaire de la religion, les opinions et les mœurs des sujets impériaux. De la religion comme garant de l'ordre social. Voilà qui nous rappelle quelqu'un. 

Là encore, les partisans du SSL se réfèrent à un seul article juridiquement plus que douteux (10a) pour affirmer que l'ER est une matière obligatoire pour les élèves et ils sont suivis par le Conseil d'état.

Ils se gardent bien de se référer aux articles 4 et 9 de cette loi dont l'application causerait quelques soucis au recteur  " quiconque veut ouvrir une école doit être âgé de 25 ans, être de bonne vie et mœurs, être de nationalité allemande, posséder la langue allemande…"

Pourquoi ne retenir que l'article 23? 

Quelques juristes et le ministère citent un texte qui institue l'obligation de l'ER pour les élèves du secondaire : l'ordonnance du 20 juin 1883. Elle organise les horaires et la quantité de travail demandée aux élèves et, à l'article 14, définit les matières obligatoires dans les établissements secondaires : "religion, allemand, latin, grec, français, histoire-géographie etc."

Comme dans la loi Falloux, la religion est la première matière obligatoire.

Le lycée doit permettre le développement spirituel et moral et encourager à développer force et habilité physique.

Des lois datant, en France,  de la Restauration et des lois promulguées par l'empire autoritaire allemand, des lois cléricales scellant l'alliance du trône et de l'autel, telles sont les références des partisans du SSL. Cependant, sous réserve de leur constitutionnalité, ces lois et règlements fondent juridiquement l'obligation, pour les élèves du secondaire, de suivre un enseignement religieux.

 

 III) LE RETOUR DE L'ALSACE-MOSELLE A LA FRANCE 

A) PREMIER RETOUR A LA LEGALITE REPUBLICAINE.

En 1914, dans les premières semaines de la 1ère guerre mondiale, les troupes françaises ont conquis des territoires au sud de l'Alsace. Le général Joffre, sans autorisation du gouvernement, a fait une proclamation solennelle à Thann. Il promettait que les Alsaciens conserveraient, après la victoire française, leurs législations particulières. Il ne croyait pas si bien dire !

Des intellectuels alsaciens réfugiés à Paris avaient pourtant préparé l'application, en Alsace-Moselle, de la législation en vigueur en France : le retour à la légalité républicaine.

Dès le 15 novembre 1918, après l'entrée des troupes françaises en alsace, le gouvernement nomme un Commissaire de la République et un Conseil supérieur d'Alsace et Lorraine pour assurer temporairement l'administration civile. Le traité de Versailles est signé le  28 juin 1919.

La loi du 17 octobre 1919 maintient, pour l'Alsace-Moselle, temporairement " les dispositions législatives et réglementaires qui y sont actuellement en vigueur " (art. 3) jusqu'à ce que " la législation française (soit) introduite dans les dits territoires par des lois spéciales qui fixeront les modalités et délais de son application" (art.4).

En novembre 1919 les Français élisent une assemblée ultra-conservatrice, la "chambre bleu horizon" du "bloc national". Le provisoire s'installe.

Les élections de mai 1924 voient la victoire du "cartel des gauches", une coalition de circonstance entre les radicaux et les socialistes de la nouvelle SFIO. Le gouvernement Herriot est constitué le 15 juin après l'élection de G. Doumergue à la présidence de la république.

Juste avant la constitution du gouvernement Herriot, l'assemblée a voté la loi du 1er juin 1924 " mettant en vigueur la législation française dans les départements du Bas-Rhin, Haut-Rhin et de la Moselle". L'alinéa 13 de l'article 7 maintient "la législation sur les cultes et les congrégations religieuses". Toujours pas de retour à la légalité républicaine. (Je n'ai pas trouvé le paragraphe, mais dans un article des DNA, JM Woehrling précise que ce maintien reste provisoire). 

Dès le 17 juin, en application de la loi de 1905, Herriot annonce son intention de supprimer l'ambassade du Vatican créée par le "bloc national" et de supprimer le concordat et le SSL en Alsace-Moselle. Les députés cléricaux alsaciens (R. Schuman en tête) protestent à l'assemblée nationale, ils sont suivis par de nombreux députés. L'évêque de Strasbourg, Mgr Ruch, est un évêque de choc, il organise la fronde en Alsace. Dès le 22 juin il appelle à l'action. Pour lui,  la proposition d'Herriot revient à "travailler au profit de l'étranger, c'est faire le jeu de l'ennemi". Les prêtres (rejoints par des pasteurs et rabbins) dénoncent en chaire la proposition Herriot, 600 000 Alsaciens et Mosellans signent une pétition.

En 1925, les conseils municipaux de Strasbourg, Colmar, Schiltigheim, Graffenstaden, Guebwiller et Huningue rendent les écoles primaires interconfessionnelles. Herriot donne son accord. Mgr Ruch appelle les catholiques à la grève scolaire le 16 mars 1925 (grève suivie selon les communes entre 50 et 100%). 

Herriot n'insiste pas, son gouvernement est renversé le 10 avril et son successeur P. Painlevé renouvelle l'assurance que le statut de cultes et le SSL seraient conservés en Alsace-Moselle.
Le provisoire continue de durer

La circulaire Guy La Chambre du 17 juin 1933 concernant la dispense aux cours d'enseignement religieux provoqua à nouveau l'ire de Mgr Ruch. Il en fut de même avec le décret du 10 octobre 1936 sur le même problème (450 000 signatures récoltées). 

B) L'ANNEXION DE FAIT PAR LE REGIME NAZI. 

Les nazis abrogent toutes les lois en vigueur en alsace-moselle, y compris celles du IIe reich, et imposent leurs lois. Il n'y a plus d'enseignement religieux dans les écoles publiques. Cet épisode violent ne sera pas sans conséquences. Après le retour de l'Alsace-Moselle à la France, les tentatives d'introduire les lois laïques seront comparées à l'action des nazis par les cléricaux et une partie de la hiérarchie catholique alsacienne.

C) SECOND  RETOUR A LA LEGALITE REPUBLICAINE.

Le Gouvernement provisoire signe l'ordonnance du 15 septembre 1944 " relative au rétablissement de la légalité républicaine" en Alsace-Moselle.

L'article 3 stipule "la législation en vigueur dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle à la date du 16 juin 1940 est restée applicable et est maintenue en vigueur".

L'exposé des motifs précise que "sans doute l'ordonnance ainsi proposée au gouvernement ne peut être tenue comme constituant un code définitif…"

De nombreuses tractations se déroulent entre la SFIO et le MRP clérical, les évêques de France et Mgr Weber successeur de Mgr Ruch. Mgr Weber serait prêt à accepter le dualisme scolaire en Alsace, mais l'opposition des cléricaux radicaux (Mgr Hincky, Schmidt-Le-Roi) fait pencher la balance pour le statut quo : le dualisme scolaire en " France de l'intérieur", le SSL en Alsace-Moselle.

La classe politique majoritairement de droite à l'assemblée opte pour le statut quo, c'est à dire une législation locale "provisoire" en Alsace-Moselle.

Depuis, le provisoire dure encore ! 

Le décret du 3 septembre 1974  confirme le statut scolaire local en rappelant que " la durée hebdomadaire de la scolarité dans les écoles élémentaires des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle est fixée par l'arrêté du 7 août 1969 susvisé, il comprend obligatoirement une heure d'enseignement religieux". Au CE2 et aux CM, n cas d'effectifs suffisants, l'horaire peut-être porté à 2 heures, l'horaire hebdomadaire passe alors à 28 heures. (L'arrêté du 7 août 1969 fixe la durée hebdomadaire de cours à 27 heures).

Le décret du 3 juin 1991 qui fixe la durée hebdomadaire de cours à 26 heures confirme que l'enseignement religieux est inclus dans cette durée hebdomadaire. 

L'article L.481-1 du code de l'Éducation (JO du 22 juin 2000) rappelle : "Les dispositions particulières, régissant l'enseignement, applicables dans les départements du Bas-Rhin du Haut-Rhin et de la Moselle, y demeurent en vigueur". 

Le décret du 22 septembre 1995, après consultation de la Commission nationale de l'informatique et des  Libertés et avis du Conseil d'état confirme la légalité de "la collecte d'informations nominatives relatives à l'organisation de l'enseignement religieux dispensé dans ces établissements qui, directement ou indirectement, font apparaître les opinions religieuses" (art. 1).

L'arrêt du Conseil d'état du 23 mai 1958 "Ministre de l'éducation nationale contre Weber et autres" donne tort au ministre qui s'opposait à la demande du "sieur Weber"(lequel n'était autre que l'évêque de Strasbourg) d'étendre le SSL à l'enseignement technique sans autre forme de procès. Le CE a considéré que vu le caractère général des législations existantes, il n'était pas nécessaire de publier un règlement d'administration publique pour autoriser cette extension.

L'arrêt du Conseil d'état du 31 mai 1974 déboute le SNI de sa demande d'annulation de l'arrêté du 7 décembre 1972. Le CE a estimé qu'il n'était pas nécessaire de saisir le Conseil supérieur de l'éducation nationale pour inclure l'horaire d'enseignement religieux dans la durée hebdomadaire des cours à l'école primaire en Alsace-Moselle. 

 

IV) ALORS, OBLIGATOIRE OU PAS OBLIGATOIRE ? 

A) L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX EST OBLIGATOIRE POUR LES ELEVES. 

Toute la législation citée précédemment est non abrogée. Même si la plupart des articles ne sont plus appliqués (car  inapplicables), ils  conservent force de loi.

C'est à cette législation que se réfèrent le Conseil d'état, les juristes locaux favorables au SSL et l'administration de l'Éducation nationale. Les responsables politiques ignorent le problème ou sont, pour des raisons de tactique ou de conviction cléricale, favorables au maintien des lois non laïques. 

Juridiquement, et sous réserve que ces législations soient constitutionnelles, l'ER est bien obligatoire pour les élèves.

B) L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX N'EST PAS OBLIGATOIRE POUR LES ELEVES. 

L'arrêt du Conseil d'état du 6 avril 2001 n'a que légèrement clarifié la situation.

En déboutant le SNES de ses requêtes contre le CAPES de religion, le CE a été amené à se prononcer sur le caractère attentatoire à la liberté de conscience, de pensée et de religion dû au SSL.

Le CE a rendu un arrêt particulièrement ambigu.

Il rappelle que les législations toujours en vigueur en Alsace-Moselle en matière de SSL n'ont pas été abrogées par le législateur en 1919, 1924 et 1944. Il constate que la constitutionnalisation du principe de laïcité en 1946 et 1958 " n'a pas eu pour effet d'abroger les dispositions de la loi du 1er juin 1924".

Il en conclut que "l'obligation d'assurer un enseignement religieux dans toutes les écoles de ces départements, et, en particulier, dans les établissements publics d'enseignement du second degré, constitue une règle de valeur législative s'imposant au pourvoir réglementaire"…."Il ressort des pièces du dossier que l'obligation en cause est celle pour les pouvoirs publics, d'organiser un enseignement de religion pour chacun des quatre cultes reconnus, et que celui-ci s'accompagne de la faculté ouverte aux élèves, sur demande de leurs représentants légaux d'en être dispensés ; qu'ainsi, et en tout état de cause, le moyen doit être rejeté". 

Curieux arrêt !

* Tout en se référant aux textes législatifs fondant l'obligation pour les élèves de suivre l'ER, il ne se prononce pas sur cette forme d'obligation.

* Il fixe comme seule obligation celle de l'État d'organiser l'enseignement religieux. Cela ne rend pas pour autant caduque l'obligation pour les élèves de suivre un enseignement religieux car la législation fondant cette obligation est citée en référence.

On est en plein brouillard juridique.

* Sans le préciser ouvertement, il récuse l'argument de non-conformité du SSL avec la liberté de conscience,  de pensée et de religion en citant l'existence de la dispense.

Les laïques n'y trouvent qu'une maigre satisfaction : l'obligation, pour les élèves, de suivre le cours de religion n'est pas affirmée, mais elle n'a pas non plus été démentie. Toute la législation non-laïque est confortée.

Dans le n° 33 de la revue du droit local, les juristes se sont alarmés de la décision du CE de faire du principe de laïcité un "principe fondamental de la République". Peu de principes ont été élevés à cette dignité (liberté d'association et interdiction d'expatrier pour motif politique par le Conseil d'état et liberté de conscience et liberté individuelle par le Conseil constitutionnel).

Ils constatent que le CE "n'a pas statué sur la question de savoir si le principe constitutionnel de laïcité est compatible ou non avec l'organisation par la loi d'un enseignement religieux à l'école publique".  Le CE a simplement constaté que la législation en vigueur et la constitutionnalisation du principe de laïcité n'avaient pas eu pour conséquence juridique d'abroger les législations non-laïques d'Alsace-Moselle. 

La question reste entière : les législations non-laïques d'Alsace-Moselle sont-elles constitutionnelles ?

Les juristes de l'IDL, le premier moment de stupeur passé, ont trouvé une parade. En faisant du principe de laïcité un principe fondamental de la république, le CE aurait protégé les législations non-laïques d'Alsace-Moselle. Ce principe serait ainsi rendu en quelque sorte intemporel. Il en résulterait qu'il avait déjà  sa valeur de principe fondamental lors de l'adoption des lois de 1919 et 1924. Personne n'ayant contesté la non-constitutionnalité de ces 2 lois, elles ne seraient pas contradictoires avec le principe déjà existant de laïcité. De plus les constitutions de 1946 et 1958, en constitutionnalisant le principe de laïcité, n'introduiraient pas une disposition nouvelle, elles  confirmeraient simplement l'aspect constitutionnel de ce principe. Il n'y aurait pas lieu de vérifier la constitutionnalité des lois non-laïques d'Alsace-Moselle. CQFD ! 

Il s'agit en fait d'un tour de passe-passe juridique permis par l'ambiguïté de l'arrêt du CE. Dans plusieurs numéros de la revue du Droit local, ou dans des colloques, ces juristes ont fait part officiellement de leur crainte que les lois locales des cultes ne soient pas constitutionnelles. Ils préconisent donc de ne jamais tenter de les faire évoluer par la loi, car ce pourrait être l'occasion de la saisine du Conseil constitutionnel.

Ils ont même évoqué une saisine du Conseil constitutionnel à posteriori pour la législation existante. Cette procédure est exceptionnelle mais pas impossible. 

L'imbroglio juridique est toujours aussi impénétrable, l'évolution du SSL vers le respect de la liberté de conscience ne peut venir d'un recours juridique sauf à saisir le Conseil constitutionnel. Seuls des élus politiques sont autorisés à faire cette saisine. 

A ce jour, la seule raison certaine qui fait que l'enseignement religieux n'est pas obligatoire pour les élèves est l'existence de la dispense.

 

V) BREVE HISTOIRE DE LA DISPENSE. 

A) DANS LA LEGISLATION ALLEMANDE. 

L'ordonnance du 20 juin 1883 déjà citée évoque au § 15 une possibilité de dispense au cours de religion, mais pour des raisons… religieuses : la préparation de la communion ou de la confirmation. 

B) DANS LA LEGISLATION FRANCAISE.

1) On ne badine pas avec les cours de religion. 

On se souvient que les ordonnances allemandes prévoyaient, en cas d'absentéisme, y compris au cours de religion, trois types de sanctions : avertissement, amende et même prison. En 1921, le préfet de Colmar répondait à un parlementaire "la fréquentation de l'enseignement religieux est obligatoire pour tous les enfants d'âge scolaire et, dans ces conditions, les parents ou tuteurs dont les enfants ou pupilles ne suivent pas cet enseignement sont passibles des peines prévues par la législation en vigueur, c'est-à-dire la peine d'emprisonnement". 

2) Des accommodements avec la législation.

Une autre dispense était prévue de manière générale par l'ordonnance du gouverneur général du 18 avril 1871 qui stipule dans son article 5 " le maître peut accorder trois jours de congé au cours d'un mois. L'approbation du directeur de cercle est nécessaire pour un congé d'une durée plus longue.

La maladie et les empêchements tenant à des phénomènes naturels sont des causes d'excuse. Aucun motif d'excuse ne sera admis sans l'agrément du directeur de cercle". 

Cet article 5 n'a aucun rapport avec l'absence à l'enseignement religieux, mais les députés ont été interloqués par la sévérité des peines liées à cet absentéisme.

En décembre 1921, le  Commissaire général de la république a adressé aux trois préfets d'Alsace-Moselle la recommandation  " d'accueillir les demandes de dispense  (d'enseignement religieux) avec le plus grand libéralisme de façon à concilier l'observation de la loi sur l'obligation scolaire avec le respect de la liberté de conscience".

A cette époque, c'est au sous-préfet pour l'enseignement primaire et au recteur pour le secondaire qu'il fallait s'adresser pour une éventuelle dispense. Un nombre infime de familles faisait cette demande. 

Non officielle, la dispense devenait possible. 

3) La dispense officielle. 

La circulaire "La Chambre" du 17 juin 1933 officialise la dispense et unifie la procédure en la simplifiant.

Il sera ouvert dans les établissements un registre ou seront consignées les demandes de dispense signées par les parents.

Cette déclaration peut être faite à trois moments de l'année scolaire : à la rentrée (octobre à l'époque), à la rentrée des vacances de Pâques ou au moment de l'inscription de l'élèves.

Ces dispositions toujours en vigueur ne sont plus appliquées par les recteurs de Strasbourg et Metz. 

La circulaire "La Chambre" a été peu appliquée, aussi le Front populaire a de nouveau officialisé la dispense avec le décret du 10 octobre 1936 " Les enfants dispensés d'enseignement religieux réglementaire par la déclaration écrite ou verbale et contresignée, faite au directeur d'école, par leur représentant légal, recevront, au lieu et place de l'enseignement religieux, un complément d'enseignement moral" (art 6). Les parents ont la possibilité de modifier leur choix en cours d'année.

La dispense est statutairement officielle, mais la législation non-laïque reste maintenue. Le rectorat peut écrire : " L'enseignement religieux est un enseignement obligatoire".

Le décret du 3 septembre 1974 rappelle la possibilité de la dispense (art 4) et rappelle que les instituteurs peuvent aussi refuser d'assurer l'ER (art 2).

 

CONCLUSION : OU EN SOMMES NOUS ?

Pas bien loin !

Ce statut est discriminatoire pour ceux qui appartiennent à une autre religion que les quatre reconnues et pour ceux  (incroyants ou croyants) qui veulent une École publique laïque en Alsace-Moselle. Il est aussi, avec l'obligation de faire état, dans un document officiel, de son appartenance ou non-appartenance à l'un des quatre cultes reconnus attentatoire à la liberté de conscience.

Mais le CE considère que l'existence de la dispense vaut respect de la liberté de conscience. 

La démarche entreprise, après d'autres organisations laïques, par Laïcité d'Accord pour rendre l'ER réellement facultatif en supprimant la demande de dispense pour les parents qui ne veulent pas inscrire leurs enfants aux cours de religion est importante.

Si cette démarche aboutissait, elle rendrait, de fait, caduque toute la législation archaïque rendant l'ER obligatoire pour les élèves. C'est en fait considérable et c'est la raison pour laquelle, dans le camp d'en face, on s'arc-boute sur la situation actuelle. 

Ce sont les élus politiques qui n'ont pas eu, dans le passé, le courage d'imposer les lois laïques en Alsace-Moselle et qui ont permis le maintien du SSL. C'est aux élus politiques actuels de faire évoluer le SSL vers plus de laïcité, vers le respect de la liberté de conscience. 

Tous les partis fréquentables (sauf l'UMP non représentée) participant au débat organisé l'an dernier étaient d'accord avec notre proposition. Il faut les pousser à concrétiser cette position.

En soulignant l'absurdité, en 2008, de la législation de référence d'origine anti-républicaine et cléricale. 

En  soulignant le caractère kafkaïen et ubuesque du SSL ou l'ER est, en même temps, obligatoire par des textes archaïques et non-obligatoire par la dispense et le jugement ambigu du Conseil d'état.

En soulignant qu'en conséquence, dans les faits, dans la réalité, l'ER est bien une option non-obligatoire et qu'il faut officialiser cette situation. 

En soulignant que le SSL a déjà évolué et qu'il est temps de le rendre conforme à l'état de la société alsacienne-mosellane sécularisée. 

En soulignant que la réalité sociologique est marquée par une désaffection des parents et élèves continue (bien qu'encore lente) et que la société d'Alsace-Moselle est sécularisée. 

Toutes les organisations laïques ont leur propre objet et leurs revendications spécifiques. Mais sur le problème de la dispense, comme celui du délit de blasphème, si elles s'unissent concrètement, si elles prennent aussi en main le "manifeste", si elles contactent les responsables religieux, politiques, administratifs, nous pouvons obtenir des résultats. La pétition nationale lancée par la Ligue de l'Enseignement est d'une importance capitale pour la défense du principe de laïcité. Cette pétition a une portée générale, en Alsace-Moselle, nous avons  en plus les lois non-laïques à  faire évoluer et c'est aussi un combat important car il peut, sur des points précis, aboutir à des avancées. 

Claude HOLLÉ